Le thé

« Le premier bol onctueusement humecte lèvres et gosier. Le deuxième bannit toute ma solitude. Le troisième dissipe la lourdeur de mon esprit, affine l’inspiration acquise par les livres que j’ai lus. Le quatrième produit une légère transpiration, disperse par mes pores les afflictions de toute une vie. Le cinquième bol purifie tous les atomes de mon être. Le sixième me fait de la race des Immortels. Le septième est le dernier… Je n’en puis boire davantage. Une brise légère caresse mes aisselles. »

« Poème à thé » de Lu Tong, fin du VIIIe siècle.

Particularités et différents crus de thé

L’arbre à thé ou théier est un arbrisseau à fleurs blanches (camellia sinensis), cultivé sous climat chaud, dont les feuilles séchées sont consommées en infusion. 

Le thé est un stimulant aromatique, contenant des huiles essentielles et de la théine, qui est en réalité le même produit que la caféine (la concentration du thé en caféine est comprise entre 2,5 et 4,5 %, alors que le café n’en contient, en moyenne, que 1,5 %). 

Les différents thés sont exclusivement produits dans les provinces du sud de la Chine, comme le montrent ces cartes.

Détail des provinces du sud de la Chine où l’on produit du thé :

Les crus de thé

Les crus de thé sont nombreux et connus des amateurs. On en distingue notamment six :

Les thés blancs

Les thés blancs sont des thés légèrement oxydés. Ils sont produits dans la province du Fujian. On ne récolte que les premiers bourgeons encore fermés, que l’on flétrit pour laisser évaporer l’humidité, puis le thé est séché à l’air. Les thés blancs comme le yin zhen (« aiguilles d’argent ») ne sont récoltés qu’à l’aube et qu’au début du printemps, uniquement durant deux jours et ce seulement si le temps est optimal. Ce sont les thés qui subissent le moins de transformations de tous, et qui gardent par conséquent une plus grande quantité de polyphénols, flavanols et autres éléments.

Cueillette de thé dans la montagne Taimu (province du Fujian)

Les thés jaunes

Les thés jaunes sont des thés légèrement fermentés. Les feuilles et la liqueur deviennent jaunes suite à un processus appelé 闷黄 men huang, durant lequel les feuilles sont regroupées en petits tas ou enveloppées pour une fermentation légère.

Aiguilles d’argent de Junshan

Les thés jaunes sont des thés rares, dont la fabrication demande une grande rigueur. Ils ne sont produits que dans quelques régions. Tout en conservant la fraîcheur du thé vert, les thés jaunes possèdent une douceur particulière.

Ce goût plus doux convient mieux aux personnes dont l’estomac supporte mal le froid. Le plus connu est le thé Aiguilles d’argent de Junshan.

Les thés verts

Le thé vert (绿茶 lǜ cha) est obtenu quand on sèche les feuilles immédiatement et intégralement après la cueillette (au soleil pendant une vingtaine de minutes). Elles sont ensuite roulées (« torsadées »), puis de nouveau séchées, soit à la vapeur, soit dans une sorte de grand wok, pendant quarante minutes.

Le thé garde sa belle couleur verte car il n’est pas fermenté, à la différence du thé noir et du thé oolong.

Le thé « Puits du dragon »

Le thé vert le plus célèbre en Chine est probablement le thé Puits du dragon (龙井茶 Lóngjǐng chá), produit dans la région de 杭州 Hangzhou :

Cultivé aux abords du lac de l’Ouest, dans le Zhejiang, il était, à l’origine, la boisson des moines d’un temple dit du « Puits du dragon ». Son goût de châtaigne grillée et son infusion couleur de jade devinrent célèbres au fil du temps, pour faire du 龙井 Lóngjǐng un des thés les plus renommés de Chine. Vitaminé, tonifiant et stimulant, ce thé a la propriété de maintenir l’esprit lucide.

Les thés wūlóng/oolong

Entre le thé vert et le thé noir, le thé oolong (en chinois乌龙茶 wūlóng chá, « thé du dragon noir », en Occident parfois appelé 青茶, « thé bleu-vert ») n’est qu’à demi fermenté. Très apprécié en Chine et au Japon, il reste assez rare en Europe.

Le oolong est un thé réputé pour son bouquet raffiné et la qualité de ses cinq récoltes saisonnières. Les feuilles de ce thé bleu-vert évoquent la forme du dragon des légendes.

Il produit une infusion à la couleur ambrée rafraîchit, désaltère et offre une agréable saveur boisée. Les thés oolong révèlent tout leur arôme après les repas, servis en petite quantité afin de mieux en apprécier la finesse. Riches en oligo-éléments et en flavonoïdes, ils sont en effet dotés de propriétés digestives. Leur faible dosage en théine en fait l’allié idéal des soirées printanières.

Les thés rouges

Les thés rouges (en chinois 红茶 hóng cha) sont obtenus quand les feuilles sont partiellement séchées, roulées, puis fermentées. La fermentation (发酵 fājiào) dure de une à quatre heures et intervient immédiatement après le roulage : les feuilles sont entreposées en épaisseur plus ou moins grande et maintenues à l’air chaud ; elles subissent par la suite le même séchage de quarante minutes que les thés verts.

Les deux éléments influant sur la qualité et le goût des thés rouges sont :

  • la cueillette proprement dite, selon que l’on récolte seulement le bourgeon de feuille (pekoe 白毫), le bourgeon de feuille + la première feuille ou « feuille du haut » (orange pekoe 上等红茶), la seconde feuille (pekoe souchong), ou, tout en bas de l’échelle de qualité, un mélange grossier de feuilles (souchong 小种). Le « thé brisé » 碎茶 ou « poussière de thé » 茶叶末est le thé de qualité inférieure que nous achetons en sachets…
  •  la fermentation, qui, en libérant des tanins, modifie considérablement le goût et l’aspect des thés.

Les thés noirs


Les thés noirs (黑茶, hei cha) sont produits dans plusieurs régions : Sichuan, Yunnan, Hunan, Hubei, Guangxi, Anhui. Le plus connu des thés noirs est le Pu’er cha (普洱茶 pǔ’ěr cha), produit dans le Yunnan, région où ont été plantés les premiers arbres à thé ; on y trouve encore de nombreux théiers millénaires, cultivés sur des milliers d’hectares.

Cueillette de pu’er à Jingmai

Les thés noirs sont proposés en vrac, ou conditionnés en briques, compactés selon une technique qui permet une très longue conservation.

Le Pu’er cha (thé noir)

Le Pu’er cha est un de ces thés en brique, un thé noir cultivé dans la riche province du Xishuangbanna, dans le sud-ouest de la Chine. Il peut être consommé à tout moment ; idéal pour le goûter ou le petit déjeuner, il dissout les graisses et facilite la digestion.

Ses feuilles marron et torsadées offrent une boisson au goût puissant. Le parfum fleuri et sucré de cette infusion orange foncé rappelle la réglisse.

Les thés aux fleurs

Les thés aux fleurs sont constitués la plupart du temps d’une base de thé vert, à laquelle on ajoute des fleurs (par exemple des fleurs de jasmin dans le cas du 花茶 huā cha).

Préparation de fleurs de jasmin

Eau et objets liés au thé

Une eau de qualité

Pour les Chinois, déguster un thé de qualité impose de choisir une eau de qualité et de l’infuser et le servir dans un service à thé de qualité .

La qualité de l’eau joue en effet un rôle primordial en ce qu’elle influe directement sur le goût du thé : la primeur va à l’eau de source (les Chinois ont répertorié les meilleures eaux de source, qui sont toujours très courues), suivie de l’eau de pluie (ou neige fondue), enfin l’eau de lac ou d’étang, l’eau du robinet étant exclue). Les eaux trop minéralisées sont à exclure car elles influencent le goût du thé.

Les objets liés au thé : tasses et théières

Les objets liés au thé sont également très importants, en premier lieu la théière et les tasses (en porcelaine ou en terre cuite) qui ajoutent au plaisir de boire (le thé chinois est bu sans lait, ni sucre qui viendraient gâcher le goût subtil du breuvage…). 景德镇 Jingdezhen est la capitale de la porcelaine en Chine depuis le Xe siècle. Les porcelaines de Jingdezhen, « blanches comme du jade, fines comme du papier, claires comme un miroir », sont très réputées et conviennent très bien au thé vert (même si l’on peut se contenter d’un grand verre transparent pour mieux observer les feuilles descendre doucement au fond du verre).

Théière en grès pourpre de Yixing

Pour les thés rouges et les oolong, la terre cuite est recommandée. Les ustensiles en terre cuite les plus réputés depuis le 16e siècle sont les théières et tasses de Yixing, les terres de cette région du Jiangsu étant réputées pour leur qualité qui permet aux grès de supporter et conserver la chaleur de l’eau bouillante.


La tradition du Gongfucha : les rituels de préparation du thé

Gōngfu chá (功夫茶)

Qu’est-ce que le « gongfu cha » ?

De nos jours, dans les régions à forte culture du thé comme les provinces de Canton et du Fujian, la tradition du 功夫茶 gōngfu chá perdure. Le terme 功夫 gōngfu désigne ici, au sens général, une technique dont la maîtrise demande du temps. Il en est ainsi de ce minutieux rituel du thé, apparu vers 1600 sous la dynastie des Ming.

Pour le 功夫茶 gōngfu chá, on utilise exclusivement des thés fins, semi-fermentés, comme le oolong (乌龙茶 wūlóngchá). Dans de minuscules théières en terre cuite, leurs saveurs s’affinent au cours des nombreuses étapes de la préparation. De très petites tasses en porcelaine fine servent à la dégustation du thé, permettant d’en apprécier tout l’arôme.

Parmi les différents crus de thé oolongle plus célèbre et particulièrement bien adapté au 功夫茶 gōngfu chá est le thé 铁观音 Tiě Guānyīn.

Thé du Fujian, léger et très parfumé, le Tiě Guānyīn est une des merveilles végétales de cette région de Chine méridionale. Son infusion, de couleur dorée, est très appréciée en Asie du sud-est pour son arôme de fleurs en bouquet. Sa saveur si prononcée en fait une boisson réservée aux moments choisis. 

En ce qui concerne l’eau, les Chinois donnent traditionnellement la préférence à une eau de source (faiblement minéralisée afin de ne pas influer sur le goût délicat du breuvage) – en aucun cas à l’eau courante.

Instruments utilisés pour la préparation du thé selon la méthode du Gongfu Cha


Enfin, pour les thés fermentés (wulong, thé rouge, thé noir), la théière est de préférence en terre cuite, les tasses en porcelaine ou en terre cuite avec l’intérieur en porcelaine (pour ne pas altérer le goût du thé).

Pour les thés fermentés, on prépare plusieurs infusions, la première de quelques secondes, les suivantes un peu plus longues à chaque fois, les feuilles de thé demandant de plus en plus de temps pour libérer leurs arômes (le nombre d’infusions varie en fonction du type de thé). À chaque infusion, c’est en quelque sorte un nouveau thé qu’on découvre : la deuxième infusion nous fait découvrir un breuvage plus onctueux et moins amer ; la troisième infusion libère un arôme discret, mais tout aussi subtil. Le nombre total d’infusions est laissé au jugement du maître de cérémonie… 

Les « cérémonies du thé »

Les « cérémonies du thé » (茶道 chádào) japonaise et coréenne sont des survivances de celle qui existait autrefois en Chine et qui est à nouveau pratiquée dans les régions traditionnellement productrices de thé (les provinces du sud : Canton 广东、le Fujian 福建、le Zhejiang 浙江). La codification et l’esprit 禅 chan (bouddhisme ‘zen’) qui caractérisent la cérémonie japonaise traditionnelle sont cependant moins présents dans la cérémonie chinoise, qui dès la dynastie Tang mettait l’accent sur d’autres aspects (par exemple la tradition du “斗茶” dou cha ou concours du meilleur thé, ou bien encore improvisation de 茶诗 cha shi ou « poèmes à thé »).

L’environnement de la cérémonie du thé chinoise ou gongfu cha demeure important : outre l’attention particulière accordée à tous les accessoires du thé, la décoration (tableaux traditionnels), la musique doivent contribuer à créer une ambiance particulière, propice au calme, au recueillement, voire à la méditation… 

Les bienfaits du thé

Citons ici les propos de Mme Ke Wen, docteur en médecine chinoise et grande consommatrice de thé : « Le thé purifie, nettoie l’organisme et le fortifie. Riche en minéraux et vitamines, il renforce les défenses immunitaires, favorise la circulation du sang, éclaircit la vue, dégage le yang (l’énergie négative), fait disparaître la fatigue et le stress, source d’hypertension. Il lutte contre les radicaux libres, source de vieillissement. Il nourrit et hydrate la peau… » Les analyses scientifiques modernes confirment que la théine stimule en douceur les systèmes nerveux et sanguin. Les flavonoïdes (composants riches en vitamines qui diminuent la tension artérielle) que contient le thé vert sont quatre fois plus puissants que la vitamine C et la vitamine E. Ils protègent des radicaux libres et régularisent les systèmes hormonal et cardio-vasculaire. Deux ou trois tasses de thé par jour suffiraient à diminuer les risques cardio-vasculaires de 40 %.

Enfin, l’Organisation pour l’éducation en nutrition (O.N.Z.) a récemment inclus le thé sur sa liste d’aliments riches en antioxydants, affirmant que « les feuilles de thé ont une teneur élevée en composés naturels aux propriétés antioxydantes, tout comme les fruits et les légumes. » 

Histoire

Origines

La botanique et la médecine chinoises font remonter l’usage du thé à des temps immémoriaux (le plus souvent aux environs du IIIe millénaire, sous le règne de l’empereur mythique Shennong). La première évocation écrite du thé date de 2700 av. J.C. ; décrite sous divers noms : tu, she, chuan, jia, ming, etc., la plante était appréciée comme soulageant les fatigues, fortifiant la volonté et ranimant la vue. Soit ingérée, soit utilisée comme emplâtre ou comme onguent, elle servait à soigner les douleurs. Les taoïstes en faisaient un élément de l’élixir de longue vie et les bouddhistes s’en servaient pour soutenir leurs méditations. 

Entre le Ve et le IVe siècle av. J.C., le thé devint la boisson favorite des habitants de la vallée du Yangzi, puis il se répandit dans tout le sud de la Chine. C’est de cette époque que date l’idéogramme actuel 茶 chá, sans doute dérivé du caractère classique 梌 tu. On buvait alors le thé d’une manière assez complexe : les feuilles, passées à la vapeur, étaient écrasées au mortier, et l’on en faisait un gâteau. Puis celui-ci était mis à bouillir, accompagné de divers autres ingrédients : gingembre, orange, épices, lait, oignons, etc. Cette coutume est encore pratiquée de nos jours par les Tibétains, qui ajoutent fréquemment du beurre, de la crème et des oignons à leur thé.

Développement de la consommation de thé

Il faudra attendre le VIIIe siècle et l’avènement de la brillante dynastie Tang pour que la consommation de thé devienne courante, au moins parmi les classes aisées. À cette même époque, Lu Yu écrit le Classique du thé (茶经 chájīng), œuvre en trois volumes dans laquelle il décrit l’histoire du thé (Lu Yu pense que c’est sous la dynastie Zhou (1121-256 avant notre ère) que le thé devient une boisson à part entière), classifie les différents crus, décrit l’art d’infuser et de boire le thé, les divers ustensiles, les différents types d’eau et les coutumes concernant la façon de consommer le thé. 

C’est, en Chine, le livre-clé à partir duquel une véritable culture du thé va se développer. 

Thé se dit cha en mandarin et c’est le nom qu’il porte en Inde, dans les pays qui étaient d’influence commerciale portugaise, ainsi qu’en Russie, Turquie (approvisionnés par caravanes). De même, les Hollandais ont été probablement en contact avec les Amoy, qui appellent le thé « T’e » dans leur dialecte, appellation importée en Allemagne, Angleterre, France et progressivement dans le reste de l’Europe. Le thé sera alors le prétexte à quelques guerres, mais c’est une autre histoire…

Aujourd’hui, la Chine est le deuxième exportateur mondial de thé (les Chinois consomment environ 55 % de leur propre production), juste derrière l’Inde.

Une vidéo pour aller plus loin :

Thé, histoire d’une feuille
Thé et ustensiles